Marcel Dinahet
Aujourd’hui dans le monde de l’art, on se pose de plus en plus de questions par rapport a l’enseignement. Les institutions cherchent les meilleurs moyens d’offrir une formation moderne de l’art aux futurs artistes, commissaires, critiques, etc. D’autre part, avec l’accord de Bologne et l’harmonisation des cursus en Europe, les ecoles sont obligees de trouver une forme d’enseignement coherente entre elles.
Vous, Marcel Dinahet, que pensez-vous du systeme educatif des ecoles des Beaux-arts ; pensez-vous, au vu de vos experiences a l’etranger, qu’il y ait des changements a apporter ?
Je pense qu’il y en a beaucoup de changements a apporter, dans la mesure ou le systeme des Beaux-arts actuel repose sur une reforme qui date. Donc je pense qu’il faudrait peut-etre penser a renouveler ce systeme educatif, qui peut paraitre assez desuet.
Et en quoi est-il desuet ?
En fait il n’est pas suffisamment … non, je ne veux pas critiquer les Beaux-arts, parce qu’il y a eu de gros efforts de fait par rapport a ce que c’etait auparavant, mais ca reste relativement traditionnel dans l’ensemble. Les ecoles anglaises, si on veut prendre leur exemple, sont inscrites dans le cursus universitaire, et sont donc inscrites dans un systeme tres ouvert. Les ecoles ici en France sont relativement autonomes, elles ne font pas partie du ministere de l’Education. En meme temps c’est le seul endroit relativement ouvert dans le domaine educatif. Mais par contre, je trouve que , c’est pas que c’est moins bien, mais les arts plastiques devenant de plus en plus exigeants, la formation qu’offrent le systeme des Beaux-arts n’est plus suffisante. Par exemple les premiere annees ont un cursus qui est tout a fait traditionnel, avec des cours de gravure, de peinture,… bien sur ils ont besoin de ces approches relativement classiques, mais je trouve qu’il n’ont pas suffisamment, d’entree de jeu, relations avec ce que sont reellement les arts plastiques. Ils ont un cursus par rapport a l’histoire de l’art, mais qui devrait etre aussi accompagne de beaucoup plus d’informations sur la scene artistique et sur la scene artistique et ce que c’est que d’etre artiste a notre epoque. Je trouve qu’ils sont relativement coupes, en premiere annee, de ce que sont reellement les pratiques artistiques. Ils n’ont pas suffisamment de contacts avec les professionnels. Ca vient pas necessairement d’un manque de l’ecole, mais d’un manque d’interet de leur part : a l’ecole on recoit frequemment des conferenciers, il y a beaucoup de gens qui passent, mais ils ne sont pas suffisamment motives pour apprehender les choses. Je trouve qu’au niveau de l’approche des arts plastiques en general, il y a des choses qui manquent, et surtout dans le rapport au milieu de l’art.
Au niveau des cours, on va dire au depart, en premiere annee, il y a des choses basiques a acquerir (le dessin, les choses traditionnelles) : c’est important au niveau de la perception des choses. Mais il faudrait developper le reste, c’est-a-dire la relation avec le milieu dans lequel ils vont etre. Je pense qu’ils pourraient avoir des cours theoriques sur l’art contemporain beaucoup plus pousses, des la premiere annee.
A l’ecole la formation technique est assez subsidiaire : c’est souvent aux etudiants d’apprendre par eux-meme a maitriser l’outil, voire entre eux, notamment grace a la presence des moniteurs, qui sont des etudiants de quatrieme ou cinquieme annee, qui sont responsables d’un atelier et qui transmettent leur savoir-faire. Pensez-vous qu’un systeme qui offre une telle liberte est judicieux ? Car d’un autre cote, certains etudiants n’iront jamais vers la gravure, par exemple, sachant qu’il n’y a pas de formation.
Ce qu’il y a c’est qu’on vous demande d’aller tres vite. Or les formations techniques sont tres longues a acquerir. Par exemple dans les ecoles anglaises, on a des ateliers techniques, avec des specialistes qui sont vraiment tres professionnels dans la technique qui est employee. Mais c’est aussi une question de moyens.
Mais il faudrait faire des choix : on peut pas tout apprendre…
Surtout que les techniques se sont diversifiees : un etudiant peut par exemple avoir besoin de faire un programme pour faire une machine qui va declencher un systeme, grace a des capteurs,… donc il aura besoin d’utiliser l’electronique dans un champ precis. Pour faire ce travail, il faut deja avoir un acquis technique important. Le lendemain, il aura besoin d’une autre technique pour faire autre chose. C’est surtout la methode d’approche qui est importante, plus que la technique, car il va devoir acquerir des techniques tres diverses. La methode, il se la construit lui-meme. Les techniques sont tellement diversifiees aujourd’hui qu’une ecole ne peut former tout le monde a chacune d’entre elle. Mais elle peut faire le minimum. Vous utilisez beaucoup les appareils photo, souvent vous utilisez des appareils video, tout est automatique ; vous ne savez pas vous en servir, or ce sont des reglages simples a apprendre : comment un champ est ouvert, comment fonctionne une optique,… il y a des elements basiques a savoir quant a l’utilisation du materiel.
Ca on l’apprend beaucoup tout seul : par l’experimentation, la pratique.
J’ai l’impression que l’enseignement des ecoles des Beaux-arts est tres basee sur ca : beaucoup de pratique, peut-etre au detriment des cours theoriques.
C’est la methode d’approche. En ce qui me concerne, dans mon cursus, j’ai aborde des techniques multiples. Je ne pouvais prevoir deux ans a l’avance quels outils j’allais employer. Mon travail se deplace, aussi. Le fait de se rendre autonome dans l’acquisition des techniques est donc interessant. L’attitude de l’ecole est donc bonne.
Dans les ecoles, on apprend beaucoup entre etudiants.
J’espere que le debat theorique est important.
Ensuite, au cours du premier et du deuxieme cycle, vous pensez qu’il y a suffisamment de cours d’art contemporain, ou qu’il faudrait qu’on en rajoute ?
Je pense que sur l’actualite de l’art, il n’y a pas assez de cours. Ca permettrait aussi plus de souplesse de la part des etudiants.
Et comment on pourrait proposer ces cours ? Par des discussions ?...
Par des discussions, par plus de… On y pense, on essaie d’organiser des ateliers, des ARC (Atelier de Recherche et de Creation), qui soient plus pointus, ou on voit les choses plus en profondeur, dans la duree, avec des intervenants qui soient vraiment des professionnels. Parce que dans les ecoles, il y a des professionnels de l’art, mais il y a aussi beaucoup d’amateurs. Je suis parfois tres choque de l’amateurisme present dans les ecoles. C’est-a-dire, quand on fait des accrochages par exemple, le fait de montrer son travail est fait de maniere tres peu professionnelle. L’idee de montrer son travail n’est pas travaillee, en fait. Il y a des choses qui ne sont pas assez rigoureuses. La rigueur, telle qu’on veut la placer, est deplacee, je trouve.
En resume, une ecole doit concilier des apports techniques et des reflexions contemporaines afin de soutenir un regard plus ouvert?
Un regard plus precis… c’est pour ca que le dessin est important. Mais les approches techniques c’est juste pour avoir des methodes de travail. Mais les techniques sont multiples. On peut aussi les aborder a travers des interrogations qui ne sont pas seulement techniques.
Vous pensez qu’il est important d’etre tres precis ?
Je pense qu’il faut etre precis quelques fois. Mais la, on n’a pas les moyens, pas le temps.
Je voulais vous demander votre avis par rapport a l’universite, ou il y a beaucoup plus de cours theoriques et moins d’ateliers, d’espaces ou les etudiants peuvent pratiquer. Estimez-vous ce systeme d’enseignement valable ?
C’est interessant d’observer ce qui se passe a l’universite, car bien sur, ils ont des cours theoriques, mais de plus en plus ils font intervenir des artistes. Ils se sont rendu compte combien les relations avec le milieu artistique peuvent apporter a la formation des universitaires dans le champ des arts plastiques. Ca va donc ressembler dans quelques annees a ce qu’est l’ecole des Beaux-arts. Peut-etre pas avec la meme autonomie, mais ils essaient de trouver un lien avec le monde de l’art, notamment en invitant de plus en plus d’artistes.
L’universite, si on veut resumer, forme des professionnels du monde de l’art evoluant autour de la pratique (commissaires d’exposition, critiques, mediateurs,…), tandis qu’a l’ecole, ce sont vraiment des plasticiens, des creatifs qui sortent du cursus.
Oui, mais cela n’empeche pas des artistes d’avoir recu une formation universitaire, souvent completee d’ailleurs par un passage aux Beaux-arts.
L’enseignement des Beaux-arts est assez privilegie
Par contre, en Angleterre, les etudiants ont un rapport plus pousse avec le travail a l’exterieur, le travail de l’enseignant : quelques fois ils sont assistants, ils participent a des projets avec eux, alors qu’ici en France, c’est tres separe.
C’est-a-dire on laisse peu de chances aux etudiants de se professionnaliser ?
Je vois pour ce concerne les Anglais que je connais, souvent ils ont eu des etudiants avec eux, qui les ont aide dans des projets, parfois assez importants. En France, on n’a pas cette attitude-la : on fait tres peu appel aux etudiants, on ne se melange pas. C’est l’ecole qui veut ca : on separe l’activite de professeur de celle d’artiste.
Vous pensez qu’on devrait resorber cette difference ?
Oui, mais je ne sais pas comment faire.
L’enseignement dans les ecoles anglaises, que je connais le mieux, ressemble au cursus tel qu’il est actuellement dans les ecoles d’art en France. Mais les ecoles d’art en France n’ont pas les memes moyens, au niveau des intervenants,… le soutien du ministere de la Culture n’est pas aussi consequent. C’est une question de moyens, aussi : si on n’a pas les moyens d’avoir des enseignants qui sont vraiment professionnels, de recruter, de faire venir des intervenants, on ne peut pas faire autant de choses. Je veux pas dire que c’est le cas ici, mais il y a une difference de niveaux.
C’est-a-dire ces moyens dont vous parlez sont des moyens materiels ? Mais les professeurs existent, en France ? On peut trouver de bons intervenants ?
Ce sont des artistes en fait.
Et il y sont suffisamment nombreux ?
Oui, bien sur.
Donc on pourrait rajouter des disciplines plus theoriques, a l’ecole…
Je trouve qu’il pourrait y avait une autre maniere de voir les choses. Une ecole d’art, c’est un tout : ce sont les etudiants qui apportent autant de questionnement que les profs. Ca apporte un debat, globalement. A mon avis, tout cela s’imbrique. C’est la facon dont c’est imbrique globalement qui fait que les choses marchent ou ne marchent pas. Et donc c’est aussi une question d’etat d’esprit general. La on a eu tendance a s’isoler, justement, parce qu’il y a eu des conflits. Mais le projet peut etre global.
Et ces conflits, quels sont-ils exactement ?
Ce ne sont pas des gros conflits. Ce sont des choses liees a la forme. Par exemple moi je privilegie l’activite. L’activite et la reflexion qu’a un etudiant ne doivent pas obligatoirement deboucher sur des formulations plastiques qui soient reussies, mais ce qui est important, selon moi, c’est que les choses se mettent dans un etat de recherche et de reflexion, plutot que de preferer des realisations permanentes sans aucune reflexion. Je choisi meme la chose qui n’est pas reussie, du moment qu’elle temoigne de cette reflexion. A cote de cela, il y a d’autres professeurs qui sont plus attaches a la forme. C’est la que peut se passer le conflit entre les partisans de la forme et ceux qui s’interessent a une vision plus proche de la recherche, d’un investissement qui n’est pas directement visible, formule.
Avez-vous l’impression que les etats d’esprit changent, que les gens sont plus sensibles a votre point de vue, ou que cet academisme est tres present ?
C’est par periode. En ce moment, je trouve qu’on traverse une periode « affreuse ». Bon, j’exagere un peu, et c’est de courte duree, mais il y a eu un retour, un repli sur soi. C’est dommage. C’est dommage aussi que les etudiants de quatrieme-cinquieme annee soient replies sur l’ecole pour montrer leur travail. Ils n’ont pas fait l’effort de creer des relais, des reseaux a l’exterieur. C’est nous aussi qui sommes responsables de cela. On doit preparer les etudiants a gerer les choses en dehors, des la quatrieme annee.
Quand on voit les etudiants, par exemple il font une expo : c’est un truc assez anecdotique, ils font une exposition dans l’ecole. Pour moi, ca prouve quelque part que les etudiants ne sont pas autonomes. Je pense qu’il y a quelques annees, ils pouvaient faire des choses, organiser des choses, en etant autonomes, en dehors de l’ecole, tout en etant dans l’ecole. Et je trouve que ca faisait des passerelles qui pouvaient leur permettre d’etre un peu autonomes, apres, a la sortie. Alors que la, voir des etudiants de quatrieme et cinquieme annee faire une exposition dans l’ecole - bien sur, c’est interessant, mais - c’est insuffisant, et meme grave. Pourtant on va pas critiquer ouvertement, mais moi ca me pose probleme.
Et il y a quelques annees, vous pensez que ces passerelles etaient plus faciles a creer, qu’il y avait plus d’echanges entre l’exterieur et l’interieur de l’ecole ?
Je ne veux pas regretter les annees passees : on est dans une chose differente, mais ce qu’il y a, c’est que vu les difficultes qu’il y a globalement, c’est-a-dire l’inquietude qu’il y a, je pense que l’ecole s’est un petit peu refermee sur elle-meme.
C’est etonnant : j’ai des relations avec les anciens etudiants de Ron Hazelden parce qu’ils ont une certaine mobilite. Ils etaient venus a l’ecole il y a sept-huit ans pendant une quinzaine de jours, sans faire ca officiellement, a la suite de quoi des etudiants rennais sont partis en echange la-bas. Depuis, ces etudiants qui sont devenus des artistes, organisent des choses ensemble, en Angleterre et en France. Quelque chose d’interessant s’est donc cree a partir de ca.
En fait ce que je trouve dommage, c’est que la structure te controle et donc te limite. Les modes de controles sont completement desuets. Ca fonctionne tres mal, et ca cree des tensions. C’est depasse. Le prof est artiste, mais pas n’a pas son autonomie. Il a a s’adapter a la machine. C’est inadapte. Mais c’est pas pour ca que je suis pessimiste.
Cette periode de repli sur soi a ete propre a l’ecole, ou la France ?
Ce sont des periodes, il y a des cycles, comme ca. Je me fais pas trop de soucis.
Vous expliquez cela comment ?
Globalement c’est le climat social, economique. Mais par contre, ce que j’ai percu en Russie, c’est qu’il y a des ouvertures qui s’operent, une grande energie qui se developpe.
Pensez-vous que la semi-autonomie de chaque ecole qui prevaut a l’heure actuelle pourrait s’attenuer dans les annees a venir, ou au contraire pourront-elles garder cette liberte de recrutement des professeurs, … ?
Oui, je pense que ca restera assez autonome. Esperons que ca puisse se conserver : c’est important.
Meme en France, il y a une certaine disparite dans la politique des ecoles des beaux-arts. On est plus ou moins independants…
Je pense que grace a la reforme qu’il y a eu dans les annees 80, on a permis aux etudiants d’acceder a nombres de formations qui jusque-la etaient relativement cadrees. Ca a ete tres benefique. Mais aujourd’hui on se trouve au bout de quelque chose.
Quelle etait cette reforme exactement ?
On a change notamment le mode de recrutement : on a recrute beaucoup d’artistes. De meme, les enseignements ont change au niveau du contenu. Par exemple il y a eu la disparition des ateliers : avant dans les ecoles, il y avait des ateliers (atelier de gravure, atelier de peinture, atelier de sculpture,…) avec un enseignant qui gerait tout ca : on est dans l’atelier d’Untel. Alors qu’a present les professeurs n’ont pas de lieu reserve, par exemple moi dans l’ecole, je n’ai pas d’atelier, j’ai juste un casier dans la salle des profs, et encore, qui est ouvert. Non, j’ai rien qui m’appartient. Ca cree un comportement tres different. Je suis comme un nomade dans l’ecole. C’est a moi de m’organiser.
C’est beaucoup plus souple, plus adapte a chaque etudiant.
On n’a pas de territoire. Et donc l’etudiant est beaucoup plus autonome : lui a son territoire a l’ecole, mais nous on n’en a pas. Alors qu’avant c’etait le prof qui avait son atelier. C’est interessant. Mais ce qu’il y a, c’est que les etudiants ne sont la que lorsqu’on organise quelque chose avec eux. Ils ne sont pas necessairement dans l’ecole, maintenant, dans leur atelier, dans l’espace qui leur est dedie parce que de toute facon ils n’ont rien a y faire. Certains n’ont rien a faire d’un atelier avec une table et une etagere. Mais par contre c’est interessant pour eux d’avoir un endroit ou ils peuvent se regrouper, discuter, faire des projets ; a l’Annexe, il le font, je trouve que ca marche pas mal. A l’ecole, on voit bien qu’au-dela de la troisieme annee, les ateliers sont vides. A part pour ceux qui font de la peinture, qui ont besoin d’un espace avec des chassis, du materiel de peinture, et des choses a realiser sur place. Mais les etudiants qui travaillent la photo, la video, ou qui font des actions a l’exterieur, viennent par intermittence a l’ecole essentiellement lorsqu’il y a des projets avec les profs, ou des projets avec les ateliers de recherche.
Donc les etudiants, tres presents a l’ecole jusqu’a la troisieme annee, ou l’on dispense un enseignement tres scolaire, utilisent ensuite l’ecole comme un point de rassemblement. Qu’est-ce que l’ecole peut apporter d’autre ?
Si on organise un atelier, comme celui que j’anime sur le theme du deplacement, les etudiants sont la. Avec eux, on discute des sujets, qui portent essentiellement sur le deplacement des activites artistiques dans un espace autre que celui des structures traditionnelles (galeries, musees,…). On propose des projets qu’on etudie ensemble. On voit les choses sur place. Il y a tout un debat qui se construit. Des que c’est organise, ca se passe bien. Mais il faut aussi avoir les moyens, des espaces et des moyens. Et du temps : lorsque j’ai organise le deplacement en Russie, par exemple, j’ai pris du temps, en juillet ; je n’etais pas a l’ecole mais je m’occupais de cela. Donc les ateliers fonctionnent, mais justement, nous allons revoir ca, la maniere dont on travaille en quatrieme et cinquieme annee. En quatrieme annee, certains, comme toi sont partis en ERASMUS, en sejour a l’etranger, dans une autre ecole, une autre structure, voir se qui se passe ailleurs. Et ca c’est bien, je trouve.
Oui, parce que grace a cela, les etudiants peuvent apprendre les methodes de fonctionnement qui ont lieu a l’etranger…
Le fait d’aller a l’etranger te permet de tester ton autonomie. De voir aussi comment tu peux avoir des rapports avec les autres, et puis construire des rapports, construire quelque chose d’une maniere relativement rapide, avec des gens qui sont concernes par ton attitude et ton travail. Et donc cette une forme d’echange, qu’un artiste doit avoir, c’est-a-dire cette aptitude a echanger, a travailler, dans des situations qui ne sont pas necessairement confortables, est importante.
Le but de l’ecole, apres la quatrieme annee, c’est donc d’aider les etudiants a sortir de l’ecole.
Je crois. Et je pense qu’elle ne le fait pas actuellement, pas suffisamment. Enfin, on essaye de le faire, je vais pas etre trop radical, quand meme, mais on a des difficultes a etre d’accord la-dessus. Mais c’est vrai que c’est difficile : la troisieme annee est un passage ; vous avez formalise des choses, vous avez investi une demarche, et avez a proposer un semblant, presque une exposition. C’est le demarrage d’un positionnement. Ca sert a ca, la troisieme annee, se positionner, trouver des fils conducteurs qui se mettent en place a partir de cette annee-la, qu’il va falloir affirmer par la suite.
Pensez-vous qu’il peut etre benefique pour les etudiants de changer d’ecole au cours de leur cursus ? Cela peut-il les aider a prendre leur autonomie, a trouver leurs reperes independamment d’une structure ?
C’est pas le fait de changer d’ecole puisqu’ils peuvent retourner dans une autre structure aussi confortable que la precedente. Non, ce n’est pas changer d’ecole, car toutes les ecoles se ressemblent. Si certains se positionnent dans des villes, c’est par rapport a l’environnement culturel local. Il y a des etudiants qui peuvent etre interesses par Grenoble, parce qu’il y a l’ecole du Magasin, il y a des grandes expositions qui se font, c’est integre au centre d’art, il y a des choses comme ca qui peuvent se faire.
Par contre, pour repondre a la question sur l’enseignement des arts plastiques, je pense que c’est une question qui sera permanente : ca doit se requestionner en permanence. Or dans les structures, l’enseignement est souvent fige. On adopte un systeme et on pense que c’est bien, mais ca ne peut pas l’etre : ca ne peut etre qu’en perpetuelle evolution. Et surtout pas un retour comme ca se passe quelques fois.
Pensez-vous qu’un etudiant qui prepare le DNSEP, en cinquieme annee, a suffisamment de bagage pour etre pret a avoir une activite artistique ?
Je pense qu’il y a des etudiants qui sont suffisamment prets, mais tres peu en fait. Il leur manque le rapport au milieu exterieur. Et aussi l’autonomie, c’est-a-dire, comment on fait un projet, comment on se gere dans une activite qui prend place dans la societe actuelle. Parfois les propos sont decales. Bien sur ils sont interessants a l’interieur d’une ecole mais ils ne sont pas suffisamment autonomes.
Et vous pensez que cette autonomie peut etre enseignee a l’ecole, qu’on peut former les etudiants a savoir gerer sa petite entreprise ?
Je pense, oui, si on lui laisse gerer cette autonomie. On a essaye de le faire dans une ecole d’art, mais en ce moment il y a un petit retour de baton donc c’est pas toujours ce qui se passe reellement. Je pense que les intentions sont bonnes, mais ce qui se passe reellement, c’est pas tout a fait ca.
Moi je le vois bien parce que je fais les premiere annees, deuxieme annees, troisieme annees, quatrieme annees – je trouve que ca manque dans la mesure ou il y a des difficultes par exemple il y a des etudiants qui partent, qui sont assez curieux, qui se donnent des ouvertures, et ca pose un probleme a l’ecole. Et ca je trouve que ce n’est pas normal.
Par exemple, toi, tu as passe presque un an en Russie, et a cree un rapport a un milieu qui a participe a ta demarche. Pour t’avoir soutenu dans ce projet, je suis tres critique au sein de l’ecole. Contrairement a une production tres traditionnelle qui doit se montrer, se faire, se mettre en forme. Et ca je trouve que c’est dommage.
Les professeurs ne sont pas prets a accepter une independance par rapport a l’ecole…
Pas tous, non. Il y a des tension, ce qui est assez normal. Mais ce qui est plutot encourageant, c’est qu’il y a une volonte de changer : ces tensions peuvent etre positives, a la fin, parce qu’il y a des debats, des choses qui se mettent en place.
Et c’est en apportant du materiel nouveau, en faisant intervenir des professionnels du milieu qu’on peut instaurer ce renouvellement permanent ?
Je n’ai pas de solutions… on en a discute, on a essaye de faire changer les choses, mais qui finalement ne changeaient qu’en apparence. Depuis tres longtemps rien n’a change. Par exemple depuis que tu es entree a l’ecole, il y a quatre ans, pas grand chose n’a change dans l’enseignement, dans la maniere de voir les choses, …
Oui, dans la maniere de voir, d’evaluer le travail…
L’evaluation ne se fait plus, ou elle se fait d’une maniere formelle. Pour l’evaluation, on vous demande de faire un accrochage : tu passes une demie heure devant un jury avec lequel tu n’a jamais travaille. C’est amateur. Je pense qu’en quatrieme et cinquieme annee, il faudrait se pencher sur une attitude beaucoup plus professionnelle, meme dans les comportements a l’interieur de l’ecole.
Ca c’est quelque chose que je dis souvent : en premiere annee, vous etes nombreux ; il faut faire des bilans, bien sur, afin de comptabiliser l’aspect administratif, mais au niveau du sens, je trouve que c’est tres nuisible. Il faut etre exigeant quand on montre quelque chose.
Qu’est-ce qui serait ideal, alors ? Seraient-ce des ecoles avec moins d’etudiants, avec plus de personnel encadrant ?
Le fait d’etre nombreux permet aussi des echanges. Ce qu’il y a, c’est que dans une ecole d’art, tout le monde peut apprecier ou deprecier le travail de quelqu’un. Pour les bilans, par exemple, on pourrait solliciter trois ou quatre profs seulement, qui ne soient pas forcement dans le champ de l’etudiant, mais qui passent plus de temps avec lui, plutot qu’un jugement collectif, qui ne l’est pas en realite.
Donc vous pensez qu’il serait plus judicieux d’instaurer un suivi plus personnalise, avec un professeur privilegie ?
Oui, mais avec des rencontres avec les autres professeurs mais qui soient plus dans le champ de travail de l’etudiant. Il y a par exemple des professeurs dont les preoccupations, la position dans leur propre pratique, s’opposent carrement a celles des etudiants qu’ils jugent, et ca c’est nuisible et destructeur. Et ca arrive.
Oui, car les professeurs ont aussi une activite artistique en parallele.
En principe, oui.
Je crois qu’en quatrieme-cinquieme annee, ca pourrait se passer de maniere plus precise. Ce n’est pas un enseignement general.
Quoique vous puissiez choisir les professeurs avec lesquels vous voulez travailler.
A partir de la quatrieme annee, on peut choisir les professeurs qui nous suivrons, avec lesquels on a le plus d’affinites.
Oui et je crois que c’est important.
Donc l’enseignement a change ; il est moins traditionnel qu’auparavant ; il s’est ouvert.
J’ai donc organise cette annee encore l’atelier de recherche et de creation portant sur le theme du deplacement, qui est une formule permettant aux etudiants d’etre autonome et d’elargir leur conscience des pratiques artistiques.
Cet atelier c’est donner envie aux etudiants d’aller voir ailleurs..
Effectivement. Il y a deux parties dans l’atelier : d’abord avec Pierre Lafon, il y a le projet sur la rigole d’Hilvern, qui est un projet a longue echeance. L’autre projet etait d’aller a Glasgow, voir ce qui se passe au niveau des arts plastiques la-bas. Mais Pierre Lafon refuse de conduire le petit car d’etudiants a gauche, donc on ne peut pas y aller. Alors on est alles a Bilbao, en Espagne, dont on connait bien le terrain, la situation, les gens, la ville, les zones intermediaires,… c’est tout un rapport a l’espace qui est interessant. Ce qui m’a interesse c’est de deplacer les etudiants de maniere tres rapide : il y a une journee de voyage, deux jours sur place et une autre journee pour le retour. Je souhaitais donc que la chose brutale se traduise par une action de leur part. Agir d’une maniere tres rapide. On part avec une idee de projet, qu’on materialise tres rapidement. Mon propos etait donc de voir comment il y a un rapport au reel en deplacement qui s’effectue de maniere tres brutale ; quel sens ca a ? Ensuite on etudie comment, quinze jours apres, ca peut etre traduit, quelle materialisation plastique on donne a l’action. Parce qu’on a souvent dans cet atelier une participation interessante, mais qui ne materialise pas forcement. La question est de savoir qu’est-ce qu’on fait de ce deplacement, de cette demarche.
Et vous c’est comme ca que vous travaillez dans votre pratique artistique.
Oui, c’est pour ca. Je pense que je vais essayer de remettre ca en place l’annee prochaine. Aller brutalement dans des espaces que l’on ne connait pas, et voir ce qu’on en tire ensuite.
Moi je pratique comme ca, je me sens a l’aise la-dedans, c’est quelque chose qui m’interesse, donc peut-etre que je peux accompagner des etudiants dans des experiences de cet ordre-la.
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